Un monde meilleur servi par l’engagement associatif
À l’occasion de l’inauguration de Voies du Monde, nous souhaitons, pour notre premier article, mettre en exergue l’importance de l’engagement associatif auquel nous tenons tout particulièrement.
Monia Lebbar , présidente et fondatrice de l’association “Je veux intégrer mon enfant” depuis 2011 à Casablanca au Maroc, nous confie de manière inédite ses débuts dans le monde associatif et les enjeux de celui-ci.
“Je veux intégrer mon enfant” est une école spécialisée pour les enfants atteints de la maladie d’autisme ou des troubles du comportement. Aujourd’hui, elle accueille plus de 120 élèves dans son établissement, accompagnés de 43 éducateurs et éducatrices. Monia Lebbar nous éclaire sur la façon dont on peut s’engager en faveur d’une cause au sein d’une société donnée.
Est-ce que vous pouvez vous présenter s’il vous plaît ?
Monia Lebbar, présidente de l’association « je veux intégrer mon enfant » et maman d’une jeune fille de 19 ans atteinte d’autisme. J’ai fait mes études en économie à Casablanca. Avant mon engagement, je travaillais avec ma famille dans une chaîne de restauration. Une fois après avoir eu ma (petite) famille, à l'âge de 3 ans (j’ai réalisé que ma fille de 3 ans avait une différence par rapport aux autres) ( mal de communication, ne supportant pas les bruits, crises…)
Quelles démarches avez-vous suivi suite à cette prise de conscience?
j’ai consulté son pédiatre qui m’a conseillé d’autres médecins qui m’ont suivis dans l’accompagnement de mon enfant. On a vu un neuropsychiatre, il a fait le diagnostic qu’elle avait une anomalie chromosomique. Je l’ai emmené en Europe pour qu’elle puisse se faire diagnostiquer mais j’ai eu beaucoup d’aide de la part des médecins marocains. De cette période de recherche j’ai déduis et je pense aussi que les parents doivent être conscients qu’ils doivent se faire aider, car souvent les parents ne veulent pas accepter que leurs enfants aient des difficultés. Donc la première étape c’est d’accepter la maladie, et surtout l’aide.
Alors, Quelles ont été vos ambitions pour créer cette association ?
Ma fille était prise dans plusieurs écoles spécialisées mais je n’ai pas été satisfaite de leur manière de faire et des objectifs de réussite pour les enfants. Je voulais que les parents assistent aux séances avec les orthophonistes, psychiatres… Les spécialistes ne cherchent pas à faire participer les parents, nous étions dans l’inconnu , ceci a fait qu’il était plus difficile de continuer le travail des médecins à la maison. Ce manque que j’ai vu dans les écoles en 2015 m’a poussé à créer ma propre association qui est devenue aujourd’hui une école pour autistes et enfants en difficultés. Mon objectif était d’intégrer les enfants dans le cadre scolaire avec des enfants ordinaires et une prise en charge pluridisciplinaire adaptée avec des activités sportives et musicales qui facilitent l’intégration.
Comment le processus de création de l’association s’est déroulé au niveau administratif, familial.. ?
Au départ, j’en ai parlé à mon mari et à d’autres parents qui étaient dans la même situation que moi. Alors je suis allée voir les administrations concernées, je me suis tout de suite sentie considérée puisqu’on a cru en mon projet. On m'a donné un centre dans une école primaire que j’ai moi même aménagée avec mes proches. Ça a pris 6 mois, puis on a commencé l’année scolaire 2015-2016 pour les enfants atteints d’autisme . J’ai été contrainte de faire quelques sacrifices mais qui ont porté leurs fruits . Mon seul objectif à ce moment-là était d’ouvrir cette école pour apporter une meilleure éducation pour nos enfants.
Le début d'une aventure
La vie associative dans le domaine de l’éducation a-t-elle évolué au Maroc depuis votre engagement?
Il y a une évolution énorme en ce moment parce que les institutions culturelles et éducatives voient que la vie associative est efficace et soutient finalement les institutions publiques. On note plus de 230 000 associations au Maroc en 2022 contre 30 000 associations en 2000. Ils sont actuellement en train de créer des classes dans chaque école publique prenant en charge les enfants autistes. Aujourd’hui, ils mettent en place des dispositifs d'accompagnement pour les personnes en difficultés lors des examens ce qui était impossible avant. Je suis heureuse de voir et faire partie de cette évolution qui est loin d’être finie.
Quelle est votre meilleure et pire expérience dans la vie associative ?
Ma meilleure expérience a été celle d’une jeune fille autiste en 2016 qui a pu être intégrée dans une école publique avec des enfants ordinaires grâce à notre travail. Elle a été la première de notre association à être intégrée donc elle est un peu le symbole et l’essence de notre association. Elle a réussi à s’intégrer et prépare aujourd’hui son diplôme du baccalauréat. C’est une fierté. Pour la pire expérience c’était une éducatrice qui n’était pas assez pédagogue avec les enfants et très peu patiente face à certaines crises des enfants. Et pour ajouter les mauvaises expériences mais c’est plutôt une généralité, c’est que souvent les parents n’acceptent pas que leurs enfants soient malades. Ils ne voient ainsi pas l’évolution de leurs enfants puisque leurs attentes sont trop élevées par rapport aux capacités des enfants.
Avez-vous pu consolider votre place dans les institutions étatiques dédiées au domaine de l’éducation et à l’intégration des personnes en difficultés ? Si oui, comment?
J’ai réussi à m’intégrer facilement, et c’est donné à tout le monde, je suis juste allée toquer à chaque porte de chaque directeur d’école et de responsables dans l’éducation. J’ai eu plusieurs refus certes mais je n’ai pas lâché et avec persévérance certains ont accepté mes demandes et m’ont soutenus, notamment le directeur de notre école avec qui on travaille ensemble. C’est aujourd’hui à mon tour de former régulièrement les éducatrices et les parents à travers des formations dispensées par des médecins, psychologues spécialisés et réputés. Nous restons dans un domaine associatif qui sert l'intérêt général et améliore la vie sociale donc souvent ils acceptent de former les éducatrices ou intervenir au sein de l’association avec les parents.
Vous faites partie de ces femmes inspirantes qui déconstruisent les stéréotypes sur les capacités des femmes à réaliser de grands projets au sein de la société marocaine ainsi qu’à l’étranger. Donc être une femme est-il un frein ou une force ?
C’est une force surtout dans mon domaine. Je suis une femme et maman donc je suis totalement légitime et concernés par cette cause. Le fait de vivre la même chose que les autres parents les rassurent. Mais je ne fais pas la différence entre une femme et un homme, je pense vraiment que ces stéréotypes sont loin derrière nous. Il faut se concentrer dorénavant sur notre cause, celle de l’intégration des enfants autistes au sein de la société.
Quels conseils donneriez-vous à des personnes qui souhaitent s’engager dans la vie associative ?
Patience, la personne doit être patiente, tout d'abord car l’engagement associatif exige un investissement personnel. C’est pourquoi il faut s’engager avec le cœur et de l’ambition pour la cause. Il faut aimer ce domaine et consacrer une grande partie de son temps à la création du projet. Surtout, il ne faut jamais baisser les bras. Au début c’est difficile de résister aux obstacles mais avec l'expérience on apprend à gérer les obstacles et on ne baisse plus les bras.
En un mot, comment définiriez-vous votre engagement associatif?
La Responsabilité figure parmi mes premières valeurs, en m’engageant, je me soumet à devenir responsable des bénéficiaires puisque j’ai accepté de les prendre en charge, ainsi je dois m’y tenir jusqu’au bout.
Quel message pourriez-vous transmettre aux générations futures pour changer les choses à leur échelle?
Si vous aimez ce que vous faites, si vous aimez la cause que vous défendez alors rien ne peut vous arrêter. C’est un objectif non lucratif alors faites le avec amour et améliorez vous constamment. Une seule chose à faire ; taper aux portes !!! Quand on est convaincu comme quoi on fait du bien à l’autre qui a pu améliorer sa vie en bénéficiant de votre aide, c’est déjà une réussite. Alors foncez les jeunes.